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L’hospitalité des lieux est toujours potentielle. Elle ne se réalise pleinement que dans l’usage que les personnes peuvent faire des lieux. L’hospitalité se dessine souvent dans un récit, co-créé par les usagers, qui se donnent les moyens d’être parfois maîtres des lieux comme s’ils l’étaient entièrement. Dans ses séminaires, Derrida déplie longuement cette fiction de l’hospitalité qui consiste à faire “comme si” l’invité était chez lui, tout en maintenant l’autorité du maître en sa demeure.

 

A l’hôpital il n’est pas rare que le patient soit interrompu dans sa chambre alors qu’il est concentré sur sa lecture ou en discussion avec ses proches par exemple. Le soignant qui vient pour faire un acte de soin pendant ce temps invite alors souvent à faire « comme s’il n’était pas là ». De la même manière, il peut feindre de ne pas voir le désordre dans une chambre. Par cette fiction de surdité ou de cécité, les soignants laissent au patient une certaine intimité, effaçant par là quelque peu le sentiment d’intrusion qu’il peut y avoir à entrer dans la chambre, un espace minimal d’intimité pour un patient. “Vivre sous le regard d’autrui comporte une menace intrusive dont l’hôte de confiance s’engage implicitement à ne pas user en prétendant ne pas voir.” écrit Anne Gotman. Cette mesure est d’autant plus vive que, si les patients sont maintenus en chambre et hospitalisés sur de longues périodes, c’est bien souvent afin de pouvoir être surveillés, auscultés, examinés facilement. Du point de vue strictement médical, la chambre est l’espace de l’observation la plus méticuleuse. Mais du point de vue de l’hospitalité, c’est aussi l’espace dans lequel les soignants peuvent feindre de ne rien voir. Dans la même unité spatiale, les mêmes soignants font exprès de ne pas regarder les mêmes patients qu’ils regardaient plus tôt.

 

Cette fiction s’organise aussi dans l’autre sens, alors que des patients s’astreignent à ne pas prêter attention à ce qui se joue tout près d’eux et qui engage d’autres patients, ou des soignants entre eux. En ce sens, ce sont les personnes elles-mêmes qui se font hospitalières et qui projettent par là une certaine qualité à l’espace. Par leur attitude, elles dessinent un espace intimiste, protégé des intrusions, que le patient peut habiter.

Illustration : Lavement des pieds de ses disciples par Jésus-Christ

FICTIONNER

L'HOSPITALITÉ

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